1- Colmar, ville de maraîchage

C’est le vendredi 16 juin que nous avons adressé notre Lettre ouverte au Maire de Colmar pour lui demander de renoncer à la perspective d’urbanisation du Biberackerweg : c’était aussi le jour qu’avait choisi la municipalité pour fêter le 1200e anniversaire de la ville… Or le maraîchage tient une certaine place, dans cette histoire…

« Le 12 juin 823 », résumait pour les DNA et L’Alsace Pantxika de Paepe, la présidente de la Société d’histoire de Colmar et ancienne conservatrice du Musée Unterlinden, « il est acté que l’empereur d’Occident, Louis le Pieux, donne une partie du territoire de la Fecht au monastère du Val-Saint-Grégoire à Munster. À l’époque, il n’y avait pas grand-chose à part quelques villas romaines et leurs columbariums qui donnèrent le nom au village ». Avant de passer à l’évocation des remparts…

Pour pleinement comprendre cette histoire, ajoutons cependant la dimension géographique à cette introduction, et reprenons…

La « Petite Venise » alsacienne, comme son nom l’indique, est née au bord d’un cours d’eau, la Lauch. Et même, les pieds dans l’eau : pas de lagune ici, mais la nappe phréatique, à peine un mètre sous le niveau du sol, avec des résurgences. La « Villa Colomba », premier nom de Colmar, était à l’origine une ferme, ou un ensemble de quelques fermes installées en ce lieu propice.

Sur les alluvions de la Lauch…

C’est dire que l’activité agricole, dont très plausiblement une part non négligeable d’activité maraîchère, est au cœur de son identité. « Longtemps l’histoire de Colmar s’écoula sans laisser de traces importantes », expliquait naguère Christian Wilsdorf. Impossible de savoir de quelle époque datent les premiers légumes. Mais ces terres bénies n’ont pas eu besoin des traces écrites chères aux historiens pour être depuis longtemps réputées…

« Une plaisante cité, située en plaine fertile ayant de tous côtés grande quantité de vin et de blé, et une terre principalement bonne à porter froments, oignons, et autres jardinages », observait l’humaniste Sébastian Münster dans sa Cosmographie (quel titre !) en 1552. Le voilà, le maraîchage, qui s’épanouissait alors, surprise, au sud et à l’est du rempart, sur les alluvions de la Lauch.

Des terres noires, rendues encore davantage favorables depuis le 15e siècle par des canaux d’irrigation, les fameux fossés phréatiques… « Oignons, radis, carottes, épinards, navets, choux et autres légumes y sont produits en grande quantité et vendus aux marchés de Colmar et des environs », selon Jean-Marie Schmitt, l’ancien Archiviste de la ville.

En cette fin de Moyen Âge, les fêtes religieuses traditionnellement liées à l’activité agricole fleuraient bon la zone humide…Dans un article sur la Fête-Dieu à Colmar au cours de cette période, Monique Debus Kehr cite ce passage de l’inachevée Chronika Colmariensis de Joachim Klein, diacre de la ville, expliquant que le… « trajet de la procession était parsemé de roseaux (Rohre), que les habitants avaient cueillis en masse et éparpillés » !

Ces cultures vivrières seront optimisées à la fin du 18e siècle par les progrès de l’agronomie : la pomme de terre, comme les pois et les fèves, sont alors récoltées sur les jachères, à côté des nouvelles cultures fourragères (trèfles, prairies artificielles, betteraves fourragères…). Et la production connaîtra un essor supplémentaire grâce aux progrès des transports pendant la période allemande, malgré la construction de nouveaux quartiers vers l’est et au sud.

Sous Joseph Rey, attentif, lui, à l’équilibre de sa ville, l’extension vers l’ouest sera privilégiée, sur des terres plus propices à la construction (moins proches de la nappe phréatique et donc plus stables…). C’était encore un temps où l’on ne fêtait pas la Saint-Fiacre et les maraîchers début septembre seulement pour le folklore, entre deux coups de pelleteuse…

Puis vint Gilbert Meyer…

Quel avenir pour le maraîchage à Colmar ?

L’idée est qu’il y aurait un problème de transmission. Les enfants, la plupart du temps, ne voudraient pas vivre la vie harassante de leurs parents. Ce phénomène est indéniable. Il reste aujourd’hui à peine une dizaine de maraîchers en activité à Colmar (pas « trois ou quatre »…). Mais ici aussi, d’autres vocations sont apparues, moins familiales, plus mûries par l’époque : Le problème de l’artificialisation des sols, et l’enjeu d’une production maraîchère de proximité, sont devenus, enfin, d’une brûlante actualité.

Quelques dizaines de porteurs de projet sont prêts, du côté de « Terres de Lien » (dont les locaux se trouvent au 114 Lauchwerb), à prolonger la vocation maraîchère de Colmar moyennant un petit coup de pouce pour trouver des terres et se lancer.

« Colmar garde, avec ses 67 000 habitants, un côté attachant d’une « ville à la campagne » qui fait tout son charme », peut-on lire sur le site de l’Office du tourisme. C’est vrai. Les barques à fond plat et aussi, et surtout, la période des foins à deux pas du centre-ville, les vrais légumes qui poussent encore le long de la Lauch, et les petits coins de campagne magnifiques qui restent, n’y sont pas pour rien !

Poussons l’information jusqu’au 1 Place de la Mairie…

Sources :
Debus Kehr Monique, « La Fête-Dieu à Colmar à la fin du Moyen Âge », Revue d’Alsace, 2015, n° 141, p. 47 à 58.
Klumpp Albert-André, Colmar. Mémoire en images, Alan Sutton, Saint-Cyr-sur-Loire, 1998.
Livet George (dir.), Histoire de Colmar, Privat, Toulouse, 1983 (avec les contributions de Christian Wilsdorf et Jean-Marie Scmitt).

POST-SCRIPTUM :

Le Maire est furieux que nous ayons publié notre compte-rendu de l’audience sur ce site, il nous l’a dit sur le marché Saint-Joseph samedi 29 juillet. Nous le regrettons.

C’était une audience publique, annoncée. Il ne s’agissait pas d’un problème concernant des riverains ou des particuliers, mais du sort de l’un des plus beaux endroits de Colmar. Nous avons été scrupuleux, respectueux et n’avons pas cherché à en rajouter par rapport à tel ou tel propos à l’emporte-pièce. Comme celui consistant à lancer, lorsque nous avons évoqué la vocation maraîchère de Colmar : « Il en reste combien des maraîchers, trois quatre ? » On pouvait certainement entendre là une expression des convictions libérales du Maire en matière d’économie, mais bon…

Le présent article était l’occasion de dire qu’il serait temps de prendre le sujet au sérieux, avec moins de dogmatisme et plus de sens de l’histoire. D’où est-il préférable qu’ils viennent, les légumes qu’on trouve au marché Saint-Joseph, à tous points de vue ? Les politiques font les lois et les règles. Sur les terres fertiles de Colmar, entre immeubles et salades, il faut choisir ce que l’on veut favoriser…

Voir également notre infographie ici.

Photo site https://www.colmar.fr/quartier-maraichers
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